Tubble gum
Si les investissements en R&D furent moteurs dans le dynamisme des secteurs informatique et télématique, c'est bien le business du bonbec qui caractérise le plus finement la singularité économique des années 80.
Double lustre des contrastes, de l'innovation et de la crise, les eighties restent cet accidentel mélange de sucre et d'acide dont les proportions auraient été jouées en bourse et qui se colorerait au contact d'une émulsion de conservateurs.
Depuis lors, manger un bonbon ne relève plus tout à fait du registre alimentaire ; il devient un acte politique.
Là où certains mâchouillent les aventures biscotocratiques de Malabar, produit d'un sombre programme eugéniste au dénominateur aryen, d'autres préfèrent citer la bouche pleine, les pamphlets comico-révolutionaires du commandant Carambar.
Les plus politiciens choisiront de lécher la fraise d'un gros tagada, rouge sur le dessus, mou à l'intérieur, sorte de socialo en salopette dont les poches et le ventre se seraient démesurément garnis sous la mandature bienveillante de François Mitt'rrand.
Mais je m'égare et en viendrais presque à oublier l'essentiel.
Pâte à mâcher tout droit sortie du cortex fertile d'un créatif plus cocaïné que le pif de Begbeider, le Tubble Gum signe l’épreuve du temps qui l’a vu naître en déclinant la dialectique du maître et de l'esclave au monde de l'enfance. La créature consumériste ensert ceux qu'elle sert, et nous nargue en plus en claquant des bulles.
Arôme low cost, fugacité du goût, lourdeur de la texture, mascotte sans charisme au look daté (Léo, pour la petite histoire)... tous les ingrédients étaient réunis pour que le Tubble Gum soit dédaigné de sa propre cible marketing et devienne la tombe gluante de ses promoteurs.
Seulement voilà... les jugements sur la décennie maudite semblent souffrir d'une apesanteur altérant le bon fonctionnement des mécanismes de la raison, au point de conférer un caractère culte et légendaire à la moindre de ses frasques. Et je ne me focalise pas seulement ici sur les vénérateurs de la cravate piano !
In fine, le concept du Tubble Gum est au moins autant ridicule qu’il est génial : tube à bouchon vissé en bouche, le consommateur aspire/suce à sa guise la matière gomme jusqu'à ce que cette dernière adopte le volume désiré. Cerise sur le gâteau, en renouvellant l’opération, le goût de la pâte s'en trouve redynamisé, une sorte d'effet blaxploitation au service du chewing-gum.
Là où Malabar nous offrait trop d’un coup et Hollywood pas assez, le Tubble Gum nous en donne quand on veut, autant qu'on veut.
Bien... ça, c'est pour le côté "réclame" du produit mais dans la vraie vie, me direz-vous ? Vivions-nous cette idylle ?
Les enfants sont économes, patients et tout en mesure, c'est bien connu. Inutile de vous dire que le tube avait tendance à y passer d'un coup. Enfin quand je dis d'un coup... je me comprends. La chose était tellement bien pensée qu'un tiers du ch'wing restait collé au fond du tube en plastique mou.
Seul moyen de déloger efficacement la pâte : des ciseaux et une paire de doigts sales (activité manuelle préalable en bac à sable oblige).
De là à conclure que le Vermifuge est le complément idéal du Tubble Gum, il n'y a qu'un pas que ma responsabilité de père de famille me dissuade de franchir.
Quid de la rétrospection dans tout ça, ne manquerez-vous pas de souligner ? Et bien, j'avoue être un peu sec et serai d'ailleurs ravi que vous m'aidiez à comprendre pourquoi mes papilles m'ont commandé l'écriture de cette article et conservent encore le goût médiocre de cette pâte rose.
Si dans une semaine je demeure sans réponse, j'irai me fournir auprès de mon dealer.
Pour les plus pressés, les moins fortunés ou ceux qui regrettent les bad trip provoqués par une came coupée à l'acétone, je recommande la fabrication artisanale de la pâte à mâcher.
Accessoire indispensable à toute manipulation : la boite de chimie 2000 qui cale, dans le grenier, avec trois San Antonio achetés à la foire au troc et l'intégrale vinyl de Daniel Guichard, la première télé à tube cathodique de la famille.